En témoignant à son procès, elle avait participé à sa médiatisation. En 1972, Claude Servan-Schreiber est journaliste réputée et militante féministe. Elle fait partie des personnalités appelées à témoigner au désormais célèbre procès de Bobigny (avec notamment leprofesseur Jacques Monod, Simone de Beauvoir, Michel Rocard, député des Yvelines), où comparaît la jeune Marie-Claire Chevalier pour avortement illégal. Devenue un symbole de la lutte pour le droit des femmes à disposer de leur corps avec cette affaire, Marie-Claire Chevalier, Loirétaine, est morte à l’âge de 67 ans ce dimanche.
En 1972, Marie-Claire Chevalier est poursuivie en justice. On parle du procès de Bobigny. Qu’est-ce que c’est ? C’est un procès historique en ce qui concerne la condition des femmes en France. Il faut se replacer dans le contexte. En 1972, il n’y avait en France aucune autorisation concernant l’interruption volontaire de grossesse (IVG). Elles étaient hors la loi. Donc, le procès de Bobigny est exemplaire en ce sens qu’une très jeune fille, Marie-Claire Chevalier, qui à l’époque avait 16 ans, a avorté suite à un viol perpétré sur elle par un de ses camarades de classe. Elle a été dénoncée par ce camarades de classe, qui était un petit voyou qui avait été arrêté par la police et qui, pour s’en tirer à meilleur compte, avait dénoncé Marie-Claire comme ayant avorté. Marie-Claire a été mise en procès pour avortement.
Qu’est ce qui en a fait un procès historique ? Marie-Claire a été jugée en tant que mineure, responsable de ce qu’elle avait fait. Et sa mère, Michèle Chevallier, a eu le coup de génie, si je puis dire, de s’adresser à une avocate, Gisèle Halimi, plutôt que de laisser le procès se dérouler dans le silence, pour défendre sa fille en disant : ce n’est pas ma fille qui est coupable, c’est la loi qui est coupable d’interdire aux femmes l’exercice d’une liberté fondamentale.
Marie-Claire Chevalier et sa mère Michèle sont devenues tout un symbole. Pourquoi ? Parce que Marie-Claire a été acquittée. Il n’y avait jamais eu d’acquittement auparavant. Les femmes étaient envoyés en prison, devaient payer de très lourdes amendes et puis étaient surtout considérées comme des criminels. Ce que l’acquittement de Marie-Claire a obtenu, c’est la fin de l’interdiction de l’avortement en France. Pas dans la loi, puisqu’il a fallu attendre la loi Veil en 1975, trois ans plus tard. Mais dans les faits, après l’acquittement de Marie-Claire, il n’y a plus eu de poursuites contre des femmes ayant avorté et donc pas non plus de condamnation. Donc, c’est vraiment le tournant de la libération des femmes.
Paradoxalement, on connaît très peu de choses de la vie privée de Marie-Claire Chevalier. C’était une volonté de sa part ? Oui. C’est une famille très modeste. Madame Chevalier [Michèle, la mère de Marie-Claire] était employée de métro, elle poinçonnait les billets dans le métro. Elles n’étaient absolument pas habituées à avoir une vie médiatisée. Mais elles ont été médiatisées, non pas malgré elles, puisqu’elles ont choisi de faire ce qu’il fallait pour que ce procès soit public. Mais ensuite, elles se sont complètement retirées de la vie publique. Marie-Claire était très jeune. Elle avait 16 ans. Elle a repris ses études, elle a repris une formation professionnelle. Et puis, elle n’a eu qu’une envie, c’est qu’on l’oublie.
On parle beaucoup de Marie-Claire Chevalier. Il y a aussi Michèle Chevalier. La mère qui s’est battue pour sa fille. Et à cette époque, c’était rare quand on parlait d’avortement ? C’est pas rare, c’est unique. Dans la mesure où c’est elle qui a pris la décision de défendre sa fille. C’est elle qui a décidé que y en avait assez de dire « Je suis une criminelle, j’ai honte. J’ai mal fait, pardonnez moi ». Elle a adopté une position complètement différente en disant : « C’est vous les criminels, c’est vous, la société, la police, la justice, qui contraignez des jeunes filles de 16 ans à subir le calvaire qu’elles ont vécu ». Parce que en avortant comme elle a avorté, c’est à dire un avortement clandestin abominable comme c’était à l’époque, Marie-Claire a risqué sa vie.